La reconstruction de Valentin Lavillenie (Clermont AA)

Sévèrement touché au talon début mai lors du 1er tour des Interclubs, Valentin Lavillenie vient de vivre six mois éprouvants. Physiquement… mais aussi moralement. Certes, sa rééducation n’est pas terminée. Certes, il ne sait pas encore quand il retrouvera la compétition. Qu’importe. Le perchiste Clermontois est sûr d’une chose : cette épreuve l’aura rendu plus fort.

Il revient de loin. Désormais, il peut le dire. Pudeur oblige, Valentin Lavillenie ne s’étalera pas sur le sujet. Mais il ne veut plus se mentir. « J’ai minimisé la situation pendant plusieurs semaines. Aujourd’hui je réalise que je suis tombé bas. Là, je ne dirai pas que ça va nickel, mais je suis sorti de la dépression ».

Sa saison, sa carrière, ont basculé le 6 mai dernier. À Parilly, Valentin dispute avec son club (Clermont AA) le 1er tour des interclubs. Alors qu’il tente une barre à 5m40, il retombe à côté du tapis. Le choc est violent. « Je me rappelle de ce jour comme si c’était hier. Par contre bizarrement je n’ai aucun souvenir de l’impact au sol.  J’ai un trou noir de quelques secondes. Je me souviens que je me suis relevé, j’ai posé le talon, et là j’ai hurlé de douleur ».

Il quitte le stade de Vénissieux avec les pompiers. À l’hôpital, les premiers examens confirment la gravité de la situation : fracture du calcanéum. « Mon talon gauche était explosé, sur les radios, on voyait un trou ». On lui parle alors d’opération en urgence. Malgré la douleur, le Clermontois préfère temporiser. « Je ne voulais pas faire les choses dans la précipitation. Je suis rentré à Clermont, j’ai consulté mon médecin, qui nous a orienté vers un spécialiste. » Il est finalement opéré le 10 mai, à Lyon. Pour consolider son talon très abîmé, on lui « greffe » une plaque tenue par dix vis.

Trouver refuge auprès des siens, dans son cocon, à Clermont

Dans la foulée, le chirurgien l’oriente vers un centre de rééducation situé dans l’Ouest Lyonnais. Sans transition. « J’espérais pouvoir passer quelques jours chez moi, à Monaco. Mais j’ai dû partir tout de suite en centre. Moralement, j’ai pris une claque. La structure était super, mais j’étais complètement en décalage : il n’y avait pas de sportifs, les patients étaient beaucoup plus âgés… Ce centre n’était pas adapté à ma situation ». Il devait y rester trois semaines, il ne tiendra que quelques jours. Il se réfugie alors chez son grand frère Renaud à Clermont. « J’avais besoin de ça, de sourires autour de moi, de ma petite nièce… Ces soutiens m’ont tellement touché. Et puis j’ai eu la chance d’avoir un kiné exceptionnel et tout un staff médical autour de moi. »

Commence alors sa longue rééducation. Fin juin, il prend la direction du CERS (Centre Européen de Rééducation du Sportif) de Capbreton, dans les Landes. Il espère alors pouvoir compter sur les visites de sa mère, qui habite à 1h du site… mais elle est hospitalisée le jour de son entrée. Un coup dur de plus. « Dans ma vie perso, c’était compliqué aussi.  Du coup moralement, j’étais vraiment mal. Je ne dormais presque pas, je mangeais très peu… Je me demandais pourquoi je me levais le matin. »

« Je me suis découvert une force mentale que je ne soupçonnais pas »

Pendant cinq semaines, il s’accroche à sa rééducation. « Je ne me plaignais pas, je faisais les soins, et petit à petit j’ai réussi à reprendre le dessus. J’ai retrouvé le sourire. » Une reconstruction qu’il doit aussi aux professionnels du CERS : « J’ai été entouré par des gens exceptionnels, et je pèse me mots. Avec du recul, je pense que ce passage-là a été important, tellement compliqué, mais important. Je n’aurai pas imaginé avoir la force de continuer alors que j’étais aussi mal moralement ».

Début août, il sort du centre et file à Berlin. Il vivra les championnats d’Europe en béquilles, en tribune… mais pas dans la peau d’un athlète frustré. Dans celle d’un petit frère venu encourager son aîné. « Le jour où Renaud m’a rendu visite à l’hôpital – un endroit qu’il déteste – je lui ai promis que je serai là aux Europe. Il avait besoin de moi, c’était mon rôle. Quand moi j’ai eu besoin de lui, il a été là, sans même que je lui demande. C’était ma façon à moi de lui rendre la pareille. Bizarrement, ça reste un de mes plus beaux souvenirs. Ça m’a sorti de ma bulle. »

« Peu importe le temps que ça prendra, je ressauterai. Je l’ai toujours su »

À l’automne, Valentin est retourné à Capbreton pour la suite de sa rééducation. Si tout va bien, il y fera un dernier séjour dans quelques semaines, pour la phase de réathlétisation. « La route est encore longue, mais ça avance bien, donc le moral est bon. J’ai la chance d’être bien entouré. Mes proches ont su m’apaiser quand c’était nécessaire, me mettre des claques aussi parfois (rires) ».

Même s’il ne pense qu’à ça, il sait qu’il est encore trop tôt pour parler de saut. Il patientera. « Peu importe le temps que ça prendra, j’y arriverai. J’ai pleuré mille fois de douleurs physiques ou morales, mais j’ai toujours su que je ressauterai. Sans peur. Au contraire, j’ai hâte ».

Et quand il se représentera face au sautoir, il ne sera plus vraiment le même. Plus du tout le même. « Tout sera différent. J’ai gagné en expérience, en sagesse – enfin j’espère, il m’en manquait (rires). Cet accident a entraîné une vraie prise de conscience. Je ne me serais jamais cru capable de remonter cette pente. Je me suis découvert une force mentale que je ne soupçonnais pas. Je vais l’utiliser à la perche. »

Jessica Bissay (crédit photos : Page Fb Valentin Lavillenie)